Sur l’île de Shikoku, au Japon, un petit village déserté a trouvé un moyen étonnant de garder ses ruelles animées. À Nagoro, chaque habitant parti ou disparu a été remplacé par une poupée grandeur nature. Résultat : un hameau peuplé d’un millier de figures figées, témoins muets d’une époque révolue.

La première fois que j’ai entendu parler de Nagoro, j’ai cru à une sorte de canular ou à un décor de film d’épouvante. Mais non, ce village existe bel et bien , Masayo Kokonoke me l’a confirmé. Avec la dépopulation galopante des campagnes japonaises, certaines régions se vident à un rythme alarmant. Plutôt que de laisser son village tomber dans l’oubli, une habitante, Ayano Tsukimi, a décidé de redonner vie à Nagoro à sa manière. Poupée après poupée, elle a transformé ce coin isolé en un musée à ciel ouvert, où chaque rue raconte une histoire… jamais entendue.

Le quotidien d’un village pas comme les autres
À Nagoro, chaque poupée représente un ancien habitant ou un personnage emblématique du village. Il y a des pêcheurs assis sur le pont, des écoliers immobiles dans leur salle de classe abandonnée, et même des agriculteurs accroupis dans les champs. Ayano Tsukimi les fabrique à la main, en se basant sur ses souvenirs ou sur des photos anciennes.
Je me demande ce qu’elle ressent, seule au milieu de ces visages inertes. Peut-être une forme de réconfort, comme si ses voisins n’étaient jamais vraiment partis. C’est aussi un moyen pour elle de transmettre l’histoire du village. Chaque poupée est une sorte de mémorial, une manière de dire : « Ici, il y avait autrefois une vie. »

Un phénomène qui interroge
Au-delà de son aspect insolite, Nagoro pose des questions profondes sur la désertification des zones rurales au Japon. Ce village, autrefois prospère, n’est plus qu’un vestige, où la vie humaine a cédé la place à des figures de tissu et de paille. C’est une image poignante des défis démographiques auxquels le pays est confronté.
Pourtant, cet endroit attire maintenant des visiteurs curieux du monde entier. Certains viennent pour l’atmosphère étrange et mélancolique, d’autres pour comprendre l’impact de la dépopulation. Nagoro est devenu un miroir de ce qui se passe dans d’autres villages japonais, bien que peu aient choisi une approche aussi singulière pour raconter leur histoire.

Une leçon de mémoire et de créativité
Pour moi, Nagoro n’est pas seulement un lieu intriguant, c’est aussi une leçon sur la mémoire. Quand tout semble s’effacer, on peut toujours trouver un moyen de préserver les souvenirs. Ces poupées, aussi silencieuses soient-elles, parlent aux visiteurs. Elles racontent une époque révolue, un mode de vie qui disparaît peu à peu.
Ayano Tsukimi a réussi à faire ce que peu de gens auraient osé : transformer l’abandon en une œuvre d’art vivante. Elle a prouvé qu’on peut réinventer la manière dont on se souvient des lieux et des gens, même dans un village perdu au fin fond de Shikoku.

Conclusion :
Nagoro, le village des poupées, n’est pas seulement une curiosité touristique. C’est une histoire de résilience et de mémoire, un endroit où chaque coin de rue murmure le souvenir d’une vie passée. Et même si les habitants en chair et en os ne sont plus là, l’esprit du village, lui, continue de vivre, figé dans ces figures immobiles, mais pleines de sens.

Bertrand, éditeur des Histoires Jamais Entendues

Photo (c) Kazuhiro Nogi / AFP